LA FAUCILLE

Publié le par Edouard de Chamboisson

La faucille

 

 

 

 

 

 

Quelque temps après l'épisode du cimetière, la grand-mère et moi étions dans le guéret, nous avions pris le petit chemin de terre et de pierres en face de la ferme, celui ci descend en pente douce dans un premier temps, et dont la déclivité s'accentue lorsqu'il s'encastre entre, d'un coté les guérets et de l'autre les champs du père Harnois, bordés de fourrés et de taillis, refuge des nichées d’oiseaux à la saison des amours. La végétation herbagère est toujours à l'ombre, bien verte et bien grasse à l’abri de leurs feuillus. Lui faisant face, un guéret d'herbes courtes et sèches pousse sur une terre rare et parsemée par les vents balayant le coteau. Celui-ci est fait de roches grises qu'envahissent des mousses vertes et brunes. Les rochers dominent la vallée de l'Indre, sur laquelle sont construits les deux villages, Chamboisson le bas et Chamboisson le haut. C'est un espace unique dans le canton. Il bénéficie d'un microclimat mais aussi d'un écoulement favorable des eaux de pluie, dû à sa pente discontinue. Un dénivellement d'environ six degrés de Chamboisson le bas à la vallée de l'Indre.

Il serpente de Chambourg à Montbazon près de la ville de Tours, puis jusqu'à Chinon pour se jeter dans la Loire.

Cette bande de terres arides est abandonnée de tous, grisâtre l'hiver et recouverte d'herbes multicolores, du gris aux bleus les plus vifs à la belle saison. L'on y découvre un espace non souillé par la main de l'homme où des ruches sont installées, comme oubliées par le temps. Les oiseaux trouvent sous ces cieux une paix que rien ne peut perturber. Ils le savent, si rien ne vient interrompre le cycle de la nature, celle-ci donnera à cette colline où seuls quelques buissons bas et secs viennent casser la monotonie, cette palette pentue. Elle semble avoir été sculptée par un artiste. Les jaunes, les verts et les rouges seront appréciés par les promeneurs amoureux de la nature. Ils seront accueillis avec sérénité par les habitantes bourdonnantes de ces maisonnettes basses, elles leurs laisseront, lorsque l'apiculteur viendra faire sa cueillette, des odeurs tout droit sorties d'un sol béni des dieux. Une promenade dans ces guérets, oblige à certaines précautions. Il faut, quoique les abeilles ne soient pas agressives, si elles ne sont pas dérangées dans leur besogne, le butinage, garder une certaine méfiance. Mieux vaut passer au large. Ce n’est d’ailleurs pas la place qui manque. La nature a parfois des réactions inexplicables malgré les multiples tentatives d’interprétations.

Lorsque, le regard se laisse distraire par ce spectacle envoûtant et se pose sur l'horizon, apparaît la vallée de l'Indre. Elle commence au pied du château d’Azay sur Indre. Elle s'étire dans un espace de verdure. Bordé d'un côté par la fausse rivière acquérant sa profondeur à Chambourg, à hauteur du deuxième pont, en direction de Chédigny pour se terminer en perdant de son fond, mais en gagnant sur sa largeur et sa beauté, à l'entrée de la prairie.

C’est le passage obligatoire pour accéder aux foins en saison en empêchant les eaux de se rejoindre.

Sur la fausse rivière, les nénuphars s'étalent par nappes vertes se promenant sur la surface de l'eau au gré des petits vents fripons balayant la vallée. Elle est bordée de tiges de roseaux et de bambous faisant le bonheur des enfants. Ceux-ci s'inventent des cannes à pêches belles à n'en plus finir. Ils rêvent de poissons géants et de lignes à pêche aux bouchons enchantés plongeants même la nuit dans leur rêve  en créant des remous dans lesquels ils plongent pour s’ébattre de bonheur. De l'autre côté, cette prairie est enfermée par l'Indre. Le cours d’eau dessine ses contours en serpentant à travers les plants de peupliers et de maïs avec leurs cheveux blonds ou roux. Rien ne change jusqu'au resserrement en entonnoir à la sortie d'Azay, après son mariage avec l’Indrois, là où commencent les inondations au printemps et où se meurent les eaux usées du moulin à glaces.

La grand-mère, serre sa faucille dans la main droite et se sert de la gauche pour maintenir les touffes d'herbe grasse destinées aux lapins, afin de les couper plus aisément au plus proche de la racine. Elle ne porte pas de gants. Quant à moi, je tiens le grand sac en toile de jute plein à plus de la moitié, tassé à grand peine et avec ardeur. Nous remontons vers la ferme en passant entre les champs et les taillis pour en terminer avec cette corvée. Je tire une fois encore le grand sac en le traînant sur le sol, il n'est pas aisé de porter de lourds fardeaux plus grands que soi, lorsque soudain la grand-mère pousse un cri étouffé. J'arrête ma progression et je me retourne vers elle avec vivacité, pour comprendre et réagir. En effet, il n'est pas rare de croiser sur ce chemin, avec les guérets si proches, quelque serpent, vipère, aspic ou couleuvre. La grand-mère a lâché sa faucille, elle est penchée et serre sa main gauche contre son sarrau en émettant une sorte d'efffff aspiré et prolongé. Elle se balance d'une jambe sur l'autre et semble souffrir énormément. Pour moi, c'est une première, je n'ai jamais vu la grand-mère agir de la sorte.

En m'approchant d'elle, je remarque une tache sur son tablier. Je comprends alors qu'il s'agit de sang. Je sens que la peur me gagne, comme une étreinte inattendue. Cela est brutal. D’abord une oppression du cœur dont le rythme se ralenti. Puis une contraction de l’estomac voudrait que je me courbe comme sous une vive douleur et pourtant, je me rapproche de la grand-mère et j'attends les instructions qu'elle ne manquera pas de me donner. Elle lève les yeux sur moi et me demande de ramasser la faucille, ce que je m'empresse de faire pour dissimuler mon trouble, puis, elle me dit de remonter jusqu'à la ferme avec le sac. Puis, elle part rapidement en tenant toujours sa main appuyée, la maintenant fermement contre sa poitrine avec sa main droite. Je n'ai rien vu à part le sang sur son tablier et je m'interroge sur la gravité de sa blessure, est-ce qu'elle a été piquée par un serpent ? Je ne crois pas, car alors, cela ne saignerait pas autant. Après avoir éliminé certaines hypothèses, comme une piqûre d'épine ou des griffures de ronces, j'en viens à la conclusion que la grand-mère s'est blessée d'un coup de serpe. Devant l'afflux important de sang, je me dis que la blessure est grande et profonde. Pourvu qu’elle ne se vide pas de son sang.

Je remonte à la ferme avec la crainte de la retrouver étalée sur le chemin du retour car la montée sait être pénible lorsque la fatigue gagne. Je me hâte tout en tirant le sac immense. Je commence d'ailleurs  à le trouver vraiment encombrant. Pourtant, il faut bien que les lapins mangent. Ils raffolent de cette herbe fraîche. Elle sent bon l'odeur des champs, le lait des pissenlits et la sève un peu acide des petits chardons. Leur agitation lorsque je leur distribue les premières poignées, après la cueillette, en est un des témoignages. Cette pensée me fait un peu oublier l'accident survenu quelques minutes plus tôt, car j’imagine les nombreux petits lapins, croquer à belles dents dans cette tendre verdure. Je mets bien dix minutes pour remonter à la ferme. Le sac est vraiment très grand. Le tableau doit-être bizarre.

Un petit bonhomme devant cette chose si grosse qu’il remorque tant bien que mal ? Je dépose le sac près de la niche au chien et je rentre dans la maison. La grand-mère s'y trouve et je constate avec soulagement qu'elle se tient bien droite, que son regard est vif et les gestes précis, cela me rassure. Comment aurait-elle pu se vider de son sang ? Les voisins disent qu’elle a du sang de serpent. C’est certainement un sang plus épais puisqu’il est froid. Quelques gouttes sont même tombées sur le carrelage. Elle a maintenant entouré sa main dans un linge tout suintant du rouge de son sang. Je le devine plus que je ne le vois par la brillance sur le sol recouvert de tomettes rouges hexagonales, délavées par l’usure du temps, les frottements des serpillières et des balais brosses. La grand-mère est en train de préparer un morceau de coton.

Lorsqu'elle a réussi, de sa main valide, à en découper un gros bouchon, environ la valeur d’une poignée, elle le trempe dans une boite à conserve dont l’étiquette à disparue. Le récipient est posé sur le coin de la table de cuisine. Elle laisse le coton dans ce récipient puis, se plaçant au-dessus de l'évier, commence à défaire le tissu enrobant sa main blessée. Fasciné par ce que je vais découvrir, je la regarde faire, attentif, les oreilles bourdonnantes. Le tissu me semble difficile à manier, il me semble lourd et très rigide. Lorsqu'il tombe enfin dans l'évier, la grand-mère ouvre le robinet et met sa main sous le filet d'eau. Le sang se mélange à l'eau, il coule avec abondance car le liquide est rouge vif. Je ramène mon attention sur la blessure, le cœur quelque peu soulevé par cette débauche de sang. Je la vois : la plaie se situe dans la paume de la main. Elle démarre de la base de l'index et se prolonge profondément jusqu'au début du bras. Cela ressemble à une immense lèvre épaisse, rougeâtre et sanguinolente. La grand-mère tend la main, se saisit du coton dépassant de la boite de métal et s'imbibe abondamment la plaie d’un produit légèrement jaunâtre. Il s'écoule sur la main et va se perdre dans l'évier, en ayant pris au contact de la plaie une teinte légèrement rosée et mousseuse. Ces soins durent assez longtemps. Après le nettoyage de la blessure, la grand-mère, avec mon aide, s'entoure la main avec une large bande Velpeau du nom de son inventeur, voisin pour ainsi dire puisqu’il demeurait entre Loches et Tours, à quelques kilomètres de la fermette. Le ruban se tâche très rapidement de sang, La grand-mère n’en a cure, car, immédiatement après les soins, elle sort de la maison.Elle prend le sac d'herbes déposé le long de la niche au chien. Elle le jette sur son épaule, et va tranquillement aux têts à lapins pour leur servir leur pitance.

Elle est accueillie avec fête, les coups de pattes bruyants sur le fond de niche ainsi que la mastication soutenue en sont quelques-uns uns des témoignages.

Chaque jour pendant un mois, la grand-mère renouvelle ces soins, c’est pourquoi, sa plaie se referme doucement. Je suis intrigué par ce produit, il soigne si bien les coupures, même les très profondes.

Je demande donc son secret à la grand-mère. Elle me regarde, se demandant probablement si elle doit me le confier, et après une brève hésitation, répond à mon attente.

Quant on est pressé par le temps, que l'urgence commande et qu'aucun produit de soin n'est à portée de la main, il reste une solution et c'est celle que j'ai utilisée. Il faut trouver un récipient, bien le nettoyer pour éliminer les microbes qui pourraient s'y trouver.

Il faut ensuite préparer un coton ou un tissu très propre et uriner dans la boîte, puis à l'aide du coton ou du chiffon, se nettoyer la plaie avant de la bander.

La grand-mère continue sans se préoccuper de mes réactions

Si tu es loin de la ferme, et que tu ne puisses le faire, tu urines directement sur la blessure et tu rentres pour finir de te soigner.

J'ai donc à cette occasion appris un remède de "bonne femme" efficace, économique et pas trop compliqué à utiliser. C’est pourquoi je me dis que puisque, rien ne se perd dans le porc, se pourrait-il qu’il en soit de même chez l’homme ?

Publié dans ROMAN

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